dimanche 26 juin 2011

44 - MISÈRE DE L'AMOUR

LACUNES DE L'AMOUR
Les feux de mars
Depuis trois jours mars répandait ses averses sur la ville. Glacées, mortelles. La vieille fille regardait la grêle s'abattre contre les carreaux dans des échos de tambour entrecoupés de silences. L'obscurité à quatorze heure faisait dans la pièce l'effet d'un tombeau. L'horloge dans l'ombre grattait les secondes, exaspérante. Chose inattendue, cette atmosphère déprimante n'enchantait plus la pauvre âme aigrie. Ces pluies de mars lui rappelaient de vieux souvenirs dominicaux au goût haïssable de pot-au-feu.
Elle lâcha ses travaux de couture, ouvrit la fenêtre et, le visage fouetté par la bourrasque, défit son affreux chignon... Ses cheveux se délièrent. Ses traits ingrats s'effacèrent un instant sous l'onde qui oignit sa face.
Alors elle hurla longuement au ciel ses désirs immodestes et profonds de femme inassouvie.

Lorsqu'elle referma la fenêtre, haletante, fébrile, elle était presque belle avec ses mèches humides, son front ruisselant de haine. Dans sa tête, un bouleversement venait de se produire. Sa vie allait changer, à quarante-trois ans. Elle toisait le portrait de la Sainte-Vierge suspendu au mur trop chaste de sa demeure trop propre, la rage au coeur. Elle fixait avec dégoût le crucifix en bois rapporté d'un pèlerinage crétinisant à Lourdes. Elle cracha même sur son missel aux coins usés par des années de fausse piété.
Pour la première fois de sa vie elle se mit à haïr de tout son coeur les bondieuseries qui lui avaient tenu compagnie depuis sa naissance. Le lendemain on la vit dans les rues de la ville subitement ensoleillée, arborant une toilette indécente, en quête d'ivresses lubriques. Bien qu'elle fût laide, elle se fit désirable avec des artifices coûteux, toute de dentelles et de furie libidineuse parée.
Cependant elle ne séduisit personne, pas même le Diable. Elle se retrouva seule le soir derrière ses petits carreaux, dépitée, plus laide que jamais. Les pluies mêlées de grêle étaient revenues. Elles redoublèrent. A nouveau les bruits de tambour contre les vitres, l'obscurité, la solitude... Le portrait de la Sainte-Vierge la regardait, toujours fixé au mur. Alors une pâle lueur réapparut dans les ténèbres de sa vie. La tendresse mielleuse qui se dégageait de ce regard en deux dimensions, de cette image parfaitement sulpicienne avait fini par reconquérir la dévoyée, décidément sensible aux éclats de pastel d'une religion faite pour les malheureuses de son espèce.
Touchée, définitivement convaincue, elle se résigna à reprendre le cours ordinaire de sa vie sans relief. Elle se remit à ses travaux de couture au rythme lancinant des tic-tac de la vieille pendule, son missel à portée de main. Les averses de mars martelaient de plus belle les carreaux.
Entre deux bourrasques la grêle qui fondait sur la vitre formait en s'écoulant de longues, lentes, silencieuses larmes de désespoir.

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