lundi 27 juin 2011

71 - HAUTEURS DE L'ÂME

PIEDS DANS LA FANGE, TÊTE AUX SOMMETS
Le beau visage de la disgrâce
Lorsqu'un jour j'ai vu passer cette ombre, touchante de modestie, de grâce voilée, mon coeur blasé s'est ému. C'était une infante créature à la vitalité déchue, un papillon aux ailes brisées (elle était invalide, claudicante, et c'était en Turquie en 93).
J'ignorerai pour toujours le nom de cette fleur blessée, si pâle, dont la détresse apportait à ses membres frêles, à son regard, à ses traits inquiets une grâce bouleversante. Ainsi cette vision confirmait ma sensibilité pour les vierges exclues, ces femmes flétries par la vie, jeunes et déjà fanées. Les demoiselles vulnérables sont plus dignes que leurs soeurs satisfaites d'être la cause d'une esthétique émotion, l'objet des émois les plus recherchés. Elles sont attentives aux tendresses, aux délicatesses que recèlent les choses les plus ordinaires. L'amour en elles prend des allures magistrales, parce qu'il est porté à des hauteurs inédites.
Les amants les plus doués mériteraient ces coeurs laissés dans l'ombre : ce sont des trésors qui gisent dans des coffres ternes. Mais les amants les plus doués -qui choisissent toujours les plus flatteuses conquêtes- s'ennuient bien vite dans les bras de leurs quiètes grâces.
Je sais que le coeur n'a point d'éloquence quand il s'agit de défendre des causes entendues, trop évidentes. Rien de superbe, en effet, dans les amours convenues, millénaires, universelles de deux êtres symétriques. Nul panache entre Roméo et Juliette. Le sublime ne vient qu'avec Cyrano.
Comme les plus beaux chants, selon Musset, sont les plus désespérés, les plus émouvants visages de femmes ne sont-ils pas ceux que la beauté a dédaignés ?
La joliesse qui a refusé de s'incarner chez une jeune fille donne plus de prix à son coeur avivé, sensibilisé, aiguisé par la détresse. Il est certes aisé de conquérir ces coeurs en ruine, mais comme il est délicat d'affiner sa sensibilité à la mesure de leur affliction ! Conquérir n'est rien. Cultiver est un art bien difficile. La conquête est peu de chose. Ce qui compte, c'est la moisson. Et celui qui de la terre ne voit que la surface, dédaignant ses sillons profonds, ne fera rien surgir de champs conquis si facilement. Je veux aimer dès aujourd'hui à ma façon : avec envergure, noblesse, courage, déraison, profondeur et science. Avec tout l'art de mon coeur éclairé.
Je veux arracher toutes ces filles meurtries à leur sort infâme pour leur ouvrir l'âme à ma réalité amoureuse, qui est poétique et cruelle, sereine et féroce, subtile et grotesque. Je désire non seulement marquer leur coeur au silex d'un amour esthète, mais encore les cautériser au fer rouge de mon nom. Je suis le virtuose du sanglot, le musicien du soupir, le violoniste de la douleur.
Je suis le chantre des déshéritées de l'amour.

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